Dans un monde en constante évolution, l’incertitude est devenue une réalité incontournable pour les entreprises. Les fluctuations économiques, les changements technologiques rapides et les crises imprévues peuvent mettre à rude épreuve la résilience des organisations.
Nous entrons dans une décennie de mutation structurelle qui remet en question les fondements mêmes de notre fonctionnement économique.
Réf. : Poloz, S. S. (2024). The Next Age of Uncertainty: How the World Can Adapt to a Riskier Future
Dans ce contexte, les fonctions RH et rémunération doivent se repositionner comme des leviers économiques à part entière, capables de soutenir les objectifs d’affaires, de sécuriser la croissance et d’augmenter la résilience opérationnelle. Voici cinq pistes concrètes, fondées sur cette réalité, pour faire des pratiques RH et de la rémunération globale des instruments de création de valeur et de performance organisationnelle.
Miser sur la rétention des talents clés comme actif stratégique
Dans un contexte où la démographie joue déjà contre nous, il devient impératif de cibler les rôles et les personnes qui ont une incidence directe sur la performance de l’organisation. Il ne s’agit pas simplement de maintenir les membres du personnel en poste plus longtemps, mais de lier stratégiquement leur présence aux moments critiques du cycle de vie de l’entreprise : la mise au point de produits, l’expansion de marchés, la transition technologique ou la transformation organisationnelle.
Pour ce faire, les mécanismes traditionnels ne suffisent plus. Des régimes d’intéressement à long terme, des programmes de reconnaissance alignés sur des jalons d’affaires et des bonis de rétention intelligemment structurés peuvent jouer un rôle déterminant.
L’idée n’est pas de hausser les salaires, mais de mieux lier la reconnaissance financière à la contribution réelle en matière de création de valeur. En alignant les mesures incitatives à moyen terme avec les projets structurants de l’organisation, on crée une fidélisation basée sur un intérêt partagé quant à la réussite collective.
Accorder aux gestionnaires les moyens d’agir plus rapidement
Dans un monde où l’imprévisibilité est devenue une norme, la capacité d’agir en temps réel est un avantage concurrentiel. Malheureusement, trop de politiques RH et de systèmes de rémunération sont pensés pour la stabilité et non pour la réactivité. Confrontés à cette réalité, les gestionnaires se retrouvent démunis face à des enjeux urgents comme retenir un employé clé, reconnaître un rendement exceptionnel ou ajuster une offre à un marché du travail très compétitif.
Accorder une marge de manœuvre aux gestionnaires n’est pas synonyme d’iniquité. Au contraire, cela suppose de mettre en place des cadres de référence clairs, appuyés par des données et des lignes directrices, tout en décentralisant certaines décisions pour les rapprocher de la réalité sur le terrain. Lorsqu’un gestionnaire peut réagir rapidement à un enjeu critique, il devient non seulement un acteur clé de la performance d’équipe, mais également un relais efficace de la stratégie d’entreprise.
Repenser la rémunération variable comme levier d’alignement
La rémunération variable est souvent mal comprise par les équipes. Trop souvent, elle est considérée comme un outil de motivation individuelle ou une gratification de fin d’année, détachée des priorités d’affaires. Pourtant, lorsqu’elle est bien conçue, la rémunération variable peut devenir un puissant levier de pilotage stratégique. L’enjeu est de passer d’une logique de récompense à une logique d’alignement organisationnel.
Dans un environnement où les marges sont minces et la concurrence féroce, les primes et bonis doivent refléter des résultats qui comptent réellement : l’amélioration du rendement opérationnel, le respect des délais critiques, la rentabilité des projets, la croissance de segments stratégiques. Il ne s’agit pas de normaliser les formules, mais de calibrer les mesures incitatives en fonction des réalités économiques propres à chaque fonction et à chaque unité d’affaires.
Lorsqu’un employé comprend que sa bonification est directement liée à des indicateurs qu’il peut influencer et qui sont centraux pour l’organisation, le lien entre performance individuelle et succès collectif devient évident et bien plus mobilisateur.
Considérer la rémunération comme un investissement à optimiser
Dans une ère où les gouvernements sont moins en mesure de soutenir l’économie en période de turbulence, les entreprises doivent impérativement surveiller et gérer leurs propres leviers de performance. Les salaires représentent souvent la plus grande part des coûts fixes. Mais plutôt que de les voir comme une dépense à comprimer, il faut les traiter comme un portefeuille d’investissements à optimiser.
Ce processus exige des outils analytiques solides : coût salarial par unité de valeur créée, productivité par unité d’affaires, comparaisons internes et externes dynamiques. C’est grâce à ce type d’analyse qu’on peut arbitrer intelligemment l’embauche, l’automatisation ou la réaffectation. En ayant une lecture fine des contributions réelles à la création de valeur, l’entreprise devient plus agile et performante.
Intégrer l’intelligence artificielle dans la structure des rôles et la rémunération
La montée en puissance de l’intelligence artificielle générative marque un tournant dans l’organisation du travail. Ce n’est pas simplement une vague technologique, c’est une révolution structurelle. Certains rôles seront automatisés, d’autres radicalement transformés. Et, comme plusieurs dirigeants d’entreprises l’ont déjà affirmé, les employés capables d’utiliser efficacement l’IA seront beaucoup plus productifs et devront être rémunérés en conséquence.
Ce phénomène s’accompagne d’une révision en profondeur de plusieurs piliers RH : l’évaluation des emplois, la structuration des échelles salariales, les critères de performance, les besoins en formation, et même les modèles de gestion des effectifs.
Les directions RH auront donc un double mandat : accompagner l’acquisition des compétences IA dans l’ensemble de l’organisation, tout en mettant à jour leurs modèles d’emploi, leurs pratiques d’évaluation et leur architecture salariale pour refléter une performance désormais amplifiée par la technologie. Les entreprises qui ne prendront pas ce virage risquent non seulement de perdre en compétitivité, mais aussi de créer des déséquilibres internes qui fragiliseront leur culture et leur performance.
Les secousses annoncées par Poloz ne sont pas de simples tempêtes passagères. Elles forment un nouvel état du monde des affaires et du travail. Dans ce contexte, il est urgent de sortir des approches défensives en matière de gestion humaine. Loin de représenter un coût ou un risque, les talents et la rémunération globale doivent devenir des instruments de création de valeur, de résilience et de croissance.